La « Joyeuse prison » de Pont-l’Evêque : une patrimonialisation réussie

La prison de Pont-l’Evêque, située rue Eugène-Pian, est un édifice pénitentiaire créé au début du XIXe et fermé dans les années 1950, après un scandale judiciaire. Elle fut laissée en l’état pendant plus de 50 ans avant que la ville de Pont-l’évêque ait l’idée de la patrimonialiser. Cette valorisation de patrimoine carcéral, une des rares en France, est particulièrement réussie.

L’ancienne prison de Pont-l’Evêque se situait dans une partie de la maison d’un certain sieur Labbey. Elle accueillait des hommes et des femmes qui n’étaient séparés que la nuit. Les différentes catégories de prisonniers n’étaient pas non plus séparées. Elle pouvait recevoir 76 détenus mais était souvent surpeuplée : on y comptait 90 personnes certains mois. 900 individus par an y était enfermés. Elle ne contenait ni préaux ni infirmerie et n’offrait pas la possibilité de travailler. Face à cette prison qui n’était ni sûre ni salubre, on décida de créer une nouvelle prison dans l’urgence. On pensa d’abord à réutiliser un des bâtiments à pans de bois de la ville mais le risque d’incendie était trop élevé. On décida alors de créer un bâtiment neuf. La reconstruction de la prison et du tribunal fut décidée par le décret du 25 mai 1811. Les projets et les plans devaient être fournis avant le 1er septembre 1812. Les travaux commencèrent en 1813 sous la direction des architectes Harou-Romain, père et fils. Ils finirent en 1823 pour la prison, en 1828 pour le tribunal. Le bâtiment pénitentiaire fut construit selon les préoccupations philanthropiques de l’époque.

La prison possédait un plan rectangulaire et une organisation symétrique avec en son centre un puits de lumière. On y trouvait 4 cellules-dortoirs à chacun des 2 étages qui étaient des pièces symétriques de 25 m² avec des fenêtres grillagées, où étaient séparés les hommes, les femmes, les prévenus et les condamnés. On trouvait également le bureau des avocats, le parloir, des couloirs, des escaliers métalliques, le logement du gardien-chef dans une demi-tour en excroissance ainsi qu’une chapelle au 1er étage et une cuisine en sous-sol. Une cour séparée en 2 entourait la prison sur 3 côtés, le tout étant fermé par un mur. Concernant son style, les architectes ont donné à la prison un très bel aspect polychrome grâce à l’association de divers matériaux (silex noir, pierre blanche, brique rouge). On y comptait 14 détenus les premières années, tandis que ce nombre augmenta jusqu’à une centaine en 1897. Elle fut édifiée sur l’emplacement de l’ancien couvent des Dominicaines fermé en 1792 et dont il ne reste plus qu’un très bel édifice à pans de bois. La construction de la prison de Pont-l’Evêque en 1823 se situe au point de départ d’une volonté gouvernementale de réformer le système carcéral français.

Le scandale de la « Joyeuse prison »

La prison de Pont-l’Evêque fut surnommée la « Joyeuse prison » par la presse après les drôles événements qui s’y déroulèrent dans les années 1950. En effet, à cette époque, la prison était devenue une sorte de pension folklorique sous la direction d’un gardien-chef, Fernand Billa, qui préférait être aimé de ses détenus plutôt que d’être craint. Les prisonniers utilisaient alors librement le téléphone, tenaient les comptes, recevaient petites-amies et épouses, s’offraient gueuletons et permissions de jour comme de nuit, s’auto-délivraient des certificats de bonne moralité. Chaque matin, l’un d’eux, se rendait au café d’en face. Un autre a même réparé les alarmes de la prison et refait l’électricité de la gendarmerie ! Ces événements furent découverts en 1951 après l’arrestation de l’ennemi public n°1 de l’époque, René Girier dit « René la Canne » (puisqu’il était devenu boiteux à la suite d’une arrestation mouvementée), qui venait de s’évader de la prison de Pont-l’Evêque. En effet, ce bandit spécialisé dans les casses de coffres-forts et de fourgons blindés, célèbre pour avoir commis un vol de 65 millions de Francs chez le bijoutier Van Cleef et Arpels ainsi que le casse du coffre-fort du président du Conseil Edouard Daladier, fut enfermé à la prison de Pont-l’Evêque dès mars 1949 après le cambriolage d’une bijouterie Deauvillaise. Bien qu’ami avec le gardien-chef et la porte de la prison grande ouverte, René Girier s’évada de la prison en sciant les barreaux et en escaladant le mur d’enceinte. Son évasion et son arrestation mirent en lumière les dysfonctionnements de la prison, alors surnommée la « Joyeuse prison » par la presse, et créèrent un i mmense scandale judiciaire qui fut jugé en octobre 1955 par la cour d’assise du Calvados.

Cette histoire fut racontée au cinéma dans le film d’André Berthomieu intitulé « la Joyeuse prison » avec Darry Cowl (dans le rôle de l’avocat) et Michel Simon (dans le rôle du gardien-chef) en 1956. De l’abandon à la patrimonialisation Après ce scandale judiciaire, la prison, qui était devenue au fil des années vétuste et insalubre, fut définitivement fermée en 1953. Le propriétaire, l’Etat, ne fit rien de l’édifice qui resta à l’abandon plusieurs décennies. Les aménagements extérieurs, les cours et le mur d’enceinte, furent détruits. On recommença à s’y intéresser à la fin des années 1990.

La prison de style néoclassique édifiée au début du XIXe siècle ainsi que tous ces aménagements intérieurs conservés depuis la fermeture du lieu furent inscrit au titre des Monuments Historiques le 5 décembre 1997. La prison constitue en effet un témoignage exceptionnel du renouveau de l’architecture carcérale du XIXe siècle. Le tribunal, édifié en même temps, représentatif de la grande campagne de construction lancée à l’époque de la Restauration, fut lui aussi inscrit partiellement au titre des Monuments Historiques le même jour (façades, toitures, vestibule, escalier et sa cage, salle d’audience et son décor). Après cette reconnaissance de l’intérêt patrimonial de la prison et sa protection juridique par l’inscription au titre des Monuments Historiques, la ville de Pont-l’Evêque a décidé de mettre en valeur son patrimoine carcéral.

La prison a été ouverte au public lors des Journées du Patrimoine de 2006 et a connut un franc succès. Depuis, la prison est ouverte au public à chaque Journées du Patrimoine, mais également de nombreux jours en juillet-aout, ainsi que chaque premier samedi de chaque mois. Une réservation est obligatoire. Des visites guidées d’1h, limitées à 15 personnes par sécurité, sont proposées pour découvrir en intégralité ce lieu insolite, resté dans son état d’origine.